Des collectivités et institutions locales condamnées pour avoir reproduit dans leurs supports de communication une œuvre installée sur le domaine public

En 2014, un artiste a recouvert de fragments de miroirs un blockhaus situé sur la plage de Leffrinckoucke et a intitulé cette installation “Réfléchir”.

En 2015, il sollicite de la Sous-Préfecture l’autorisation de l’achever. En réponse, la collectivité lui rappelle que l’installation a été créée sans autorisation préalable mais l’autorise à la parachever et à la sécuriser en déposant auprès de la mairie compétente un dossier de déclaration de travaux. Celle-ci prend un arrêté de non opposition sous réserve de la mise en place de certaines mesures de protection (pose d’un joint d’étanchéité, d’un silicone translucide et d’un film plastique). Des pourparlers sont engagés entre l’artiste et différentes collectivités territoriales(région, communauté urbaine et commune) concernant la prise en charge des travaux de mise en conformité et la cession non exclusive des droits de diffusion et de reproduction de l’image de “Réfléchir” mais aucun accord n’est trouvé.

En 2021, l’installation est retirée mais l’artiste assigne lesdites collectivités ainsi que des institutions locales (office de tourisme, etc.) en réparation du préjudice subi du fait de l’exploitation de l’image de son œuvre dans le cadre de leur communication pendant plus de 5 ans.

Le TJ de Lille confirme dans un premier temps l'originalité de l’installation, en indiquant qu’il “est indéniable que le choix du matériau, le parti pris d’en recouvrir un blockhaus, ouvrage militaire défensif de béton, posé sur une plage, exposé à la lumière, reflétant les nuances du ciel et de la mer, sans aucune autre utilité qu’esthétique, sont arbitraires et révèlent la personnalité de son auteur”.

Les défendeurs tentent de se prévaloir de l’illicéité de l’installation pour s’opposer à sa protection au titre du droit d’auteur. Le tribunal rappelle alors que, si le Code de la propriété intellectuelle ne conditionne pas cette protection à la licéité de l’œuvre ni l’autorisation du propriétaire du support, plusieurs juridictions ont pu prendre cette circonstance en compte. Cependant, en l’espèce, si l’artiste a débuté le montage des miroirs sans autorisation préalable, il a bien régularisé la situation.

L’exploitation de l’image de l’installation est établie, la preuve de nombreuses reproductions étant rapportée par l’auteur (sur des sites internet, des vidéos publiées sur Youtube, des photographies postées sur différents réseaux sociaux, des magazines, des prospectus, des calendriers, des cartes de vœux, etc.).

Les défendeurs tentent alors de s’appuyer sur deux exceptions au monopole de l’auteur mais ne parviennent pas à convaincre les juges, qui rappellent qu’elles sont d’interprétation stricte :

  • L’exception dite “d’information”, telle que prévue à l’article L122-5-9° du Code de la propriété intellectuelle, autorisant la reproduction d’œuvres plastiques dans la presse dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec elles, sous réserve d’indiquer le nom de l’auteur.

    L’exception n’est toutefois pas retenue, au motif que “l’ensemble des représentations visuelles s’inscrivent dans une véritable démarche de promotion du territoire, qui ne saurait se confondre avec de l’information immédiate en lien avec l’œuvre, alors qu’au demeurant le nom de l’artiste n’est pas toujours mentionné”.

  • L’exception jurisprudentielle dite de “l’accessoire” , admise lorsque l’utilisation d’une œuvre est accessoire au sujet principal traité, sa représentation apparaissant alors comme une inclusion fortuite.

    Cette théorie ne trouve pas plus à s’appliquer puisque “l’installation du requérant est bien le sujet principal de ces représentations, dans le cadre d’une promotion du territoire valorisant précisément son patrimoine culturel, tant dans la mesure où il est figuré souvent en premier plan, parfois sans que l’on distingue ni la mer ni la plage, parfois aussi représenté dans des plans cadrés sur une seule partie de l’œuvre, qu’eu égard aux commentaires qui parfois les accompagnent, ceux-ci mentionnant tous principalement voire uniquement l’œuvre, et soulignant son caractère spectaculaire et surprenant”.

Ainsi, les différents défendeurs sont condamnés et, afin de déterminer le montant du préjudice (évalué au total à 23.000 euros), le tribunal prend en compte les nombreuses heures de travail nécessaires à la réalisation de “Réflexion” ainsi que sa participation à la hausse de la fréquentation touristique de la région.

Tribunal judiciaire de Lille, ch. 01, 6 sept. 2024, n° 22/00505

Crédit photo : Photo de Joe Cooke sur Unsplash

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